Dimanche 17 mars, 15H, église Saint-Martin, Jean-Christophe Revel, orgue
Événement

Contour de l’église Saint-Martin, 59100 Roubaix

Jacques Lenot : Misti Organ Music – Création mondiale –

Jean-Christophe Revel, orgue

Le Misti ou El Misti est un volcan du tronçon central de la cordillère des Andes au Pérou. Il domine de ses 5822 mètres la ville d’Arequipa. Sa dernière éruption date de 1985. Un ami organiste belge était invité à donner un récital dans la cathédrale de cette grande ville péruvienne. Il m’envoya alors une série de photos très impressionnantes du volcan, début 2005, en vue de me faire commander une œuvre d’orgue.

Le projet n’a pu se réaliser mais j’ai immédiatement écrit l’œuvre qui n’a jamais été jouée, jusqu’à ce jour. En effet, j’ai composé en très peu de temps, en novembre 2005, 720 mesures à 4/4 dans un tempo invariable d’une noire à 48. L’expression « profondément contemplatif » précède les 60 fragments de 12 mesures enchaînées d’une minute chacun.

Il m’est évidemment impossible de décrire le flot ininterrompu (imaginaire coulée de lave ?) de cet épanchement sonore traversé de soubresauts et d’interrogations. Une musique qui se voit, des sons que l’on regarde ? Un tableau qui avance mais nous cache ses détails.

Je reconnais avoir été très inspiré par différents voyages de mon passé : le Vésuve en 1966, le Stromboli en éruption mais surtout mon ascension, un 15 août 1970, de l’Etna, en Sicile, à la recherche des sandales qu’y aurait laissées – selon la légende – le philosophe présocratique Empédocle, poète, ingénieur et médecin grec de Sicile, du Ve siècle avant Jésus Christ.

Jean-Christophe Revel s’est emparé de Misti Organ Music et m’a signifié son désir de la créer.

Quelle merveilleuse opportunité que ce concert roubaisien dans le cadre de ma Carte Blanche !

L’organiste Jean-Christophe Revel explique à travers ce texte en quoi l’oeuvre est importante au sein de la production lenotienne et pourquoi il a choisi de la créer à l’occasion la carte blanche de Jacques Lenot à Roubaix.

« Durant les périodes de latence créatrice, le compositeur Jacques Lenot consacre son temps à la composition de pièces libres pour le piano ou l’orgue au gré des rencontres et de ses affinités électives.

Misti Organ Music fait partie de ces pièces composées au fil de l’amitié. 

Dédiée à l’un de ses amis organistes à l’occasion de son mariage, l’oeuvre fait référence au volcan péruvien El Misti surplombant la belle ville baroque d’Arequipa où le dédicataire séjournait régulièrement à cette période.

Ce Misti Organ Music encore inédit fait figure d’exception et revêt une certaine importance dans la production organistique du compositeur tant par sa thématique que par son format, sa forme et les figures énoncées et développées.

Bien que le thème de la montagne ne figure pas parmi les grands thèmes d’inspiration du compositeur, celui-ci est depuis longtemps fasciné par les beautés mystérieuses et lancinantes de ces reliefs.

A la fin des années 1970, les hauteurs suisses dominant le village de Saint-Moritz l’inciteront à composer le cycle pédagogique des Belvédères (1978-1979), les montagnes pyrénéennes observées au lointain au gré des différentes saisons qui rythmèrent la vie solitaire et joyeuse de son séjour gersois (1993-1996) le marquèrent durablement ainsi que le Mont Canigou qu’il découvre à l’orée des années 2000, lors d’un séjour en Catalogne du Nord durant lequel le compositeur fut joué au conservatoire de Perpignan.  Ses différentes excursions italiennes autour des volcans de la mythologie gréco-latine marqueront également fortement le compositeur.

Sans doute qu’en 2005 El Misti cristallise alors toutes ces épiphanies parfois enfouies au fond de sa prodigieuse mémoire et s’inscrit alors secrètement dans cette lignée de lieux dont la beauté naît tout autant de leur inaccessibilité apparente que de leur mystère.

Malgré son titre et sa source d’inspiration, cette œuvre composée en 2005 (cette année-là, le compositeur n’écrira pas moins de 15 œuvres de premier plan) est davantage qu’une simple pièce paysagère. Elle est le lieu d’expérimentations poétiques qui permettent ainsi au créateur d’emprunter de nouvelles voies compositionnelles.

Sur le plan formel, c’est en effet la première fois que le compositeur s’essaie à une grande forme pour l’orgue (hormis Heureux les vents qui fuient vers les jardins qui était destinée au ballet) combinant l’étirement du temps (48 à la noire) à des figures simples (bien qu’émaillées de triolets de noires dont l’exécution dans un mouvement lent constitue une forme de virtuosité). Si l’oeuvre est composée de 60 fragments de 12 mesures chacun, le compositeur l’articule en 5 grandes sections déterminées par un élément ou un traitement motivique différents (proche souvent de ces cellules de carillon que Jacques Lenot affectionne particulièrement).

Par ailleurs, la simplicité des figures incite le compositeur à établir des stratégies d’écriture visant à caractériser les lignes de contrepoint et étoffer  la polyphonie tels que : les procédés d’énonciation et de développement itératifs (à partir de 36),  des techniques d’emprunt et de notes tenues  proches de la métalepse rhétorique et  des procédés propres à l’électronique (note gelées au soprano à 38) ou bien encore utilisation de mouvements parallèles homorythmiques développés sur des intervalles différents (de la seconde à la septième, à partir de 37) donnant ainsi aux figures une caractérisation timbrique proches des registrations harmoniques de l’orgue.

Ces diverses techniques de développement aboutiront à une séquence finale cristallisant ces différentes figures en une trame harmonique qui, tour à tour, soutiendra les cellules mélodiques, les renforcera ou bien encore tentera en vain de les masquer.

Bien que revenant à un matériau musical épuré, le compositeur ne renonce pas pour autant à exprimer tout au long de l’oeuvre (la structure formelle en dépend même) la force poétique de l’objet évoqué (le volcan) et les émotions ressenties à sa contemplation ou tout du moins à son souvenir dans le choix des figures et de leur traitement.

Outre les figures descendantes conjointes pouvant être clairement identifiées comme des éléments de figuralisme illustrant les grandes coulées de laves, les batteries exprimant un contexte épiphanique, l’ensemble de l’oeuvre se structure autour de trois grands axes en perpétuels mouvements :

Une organisation des hauteurs déterminées par des indications de registrations (des jeux de fonds de 16 et 8 au début de l’oeuvre qui se conclue dans un triple forte de 2 et 1 pieds aux strates confiées aux deux mains).

Une subtile organisation des rythmes dans un tactus unique qui nous rappelle à quel point J Lenot est l’un des grands rythmiciens de notre temps.

Une organisation d’articulation qui conférent aux figures mélodiques et rythmiques une vitalité constante tout au long de la pièce.

Misti Organ Music de par sa forme, son organisation structurelle et ses stratégies compositionnelles augure des œuvres futures pour orgue de grande ampleur que le compositeur écrira tout au long de la première décennie du XXI e siècle :

Suppliques (2010), Musikalische Exequien (2015, pour orgue et 12 instruments) ou bien encore La figure de l’Ange (2019) également pour orgue et ensemble. 

Ainsi, le compositeur poursuit inlassablement cette quête qui transparait dans l’ensemble de son œuvre. En exprimant artistiquement et musicalement les émotions (que l’on nomme durant la période de la Seconda Prattica les affeti), il tend à explorer l’insondable et les méandres de la psyché humaine et transcrit les grands évènements vécus par le prisme de la poétique : celle, étymologiquement de la création, celle, enfin, qui permet de métamorphoser la vie vécue en une vie rêvée, en une vie qui nous paraîtrait être passée comme un rêve. »

Publié le 23 janvier 2024